La chronique de la dame athée

10 décembre 2000

      Vu dans Ouest France (23 novembre 2000) sous le titre : « Théodore Monod nous a quitté ».

      L'article de François Simon traitant de l'événement commence joliment : « Le compteur de Théodore Monod restera bloqué à 98 ans. Le vieux savant voyageur est mort hier à Versailles au soir d'une vie de marcheur. En pleine possession de toutes ses curiosités ». Ce « en pleine possession de toutes ses curiosités » est éminemment sympathique.

      On apprend qu'il combattait le colonialisme, la chasse, la corrida, le rallye Paris-Dakar, les objets inutiles, la bombe H et ceux qui veulent fixer les nomades. Il luttait pour le droit au logement, l'objection de conscience et la non violence active. Rien que des bonnes choses là-dedans, comme dirait Brassens « rien à jeter ». En plus, il parcourait les déserts à la recherche de galets, de crustacés préhistoriques et surtout une fleur rare, la monodiella flexuosa. Je me souviens comme il en parlait dans ses interviews. Cela me faisait penser à cette phrase de Saint-Exupéry : « Ce qu'il y a de bien dans les déserts, c'est de savoir qu'il y a un puits de caché quelque part ». Son puits s'appelait la monodiella flexuosa. Théodore Monod était un naturaliste comme en n'en fait plus hélas dans un monde trop spécialisé, trop instantané où il est de plus en plus difficile de prendre du recul pour avoir une vision d'ensemble.

      Ceux qui ont lu mes précédentes chroniques doivent se demander quand va surgir le commentaire ironique, désabusé et désabusant. Et bien voilà ! Fils de pasteur protestant, Théodore Monod était un naturaliste croyant et ce qu'il croyait entre autres était que « l'ère chrétienne  a pris fin le 6 août 1945 » date de la première bombe atomique explosant sur Hiroshima. Je n'ai tout d'abord pas trop su quel sens accorder à cette remarque. En tant qu'athée, je me suis d'abord dit que c'était plutôt une bonne nouvelle. Puis j'ai réfléchi, cela m'arrive, et j'ai pensé qu'une personne contre la bombe H et se récitant les « béatitudes » devait lui donner une autre signification.

      Qu'est-ce que l'ère chrétienne selon Théodore Monod pour que la bombe H soit censée y mettre fin ? De l'an 1 à cette sinistre date 1945, il ne se serait rien passé que de très tolérable ? Guerres, tortures, famines, révoltes, racismes, une paille pour un Chrétien ? Tolérables les croisades, les guerres « dites de religion », la traite des noirs (noirs que l'on prenait soin de baptiser si bien qu'on s'exploitait entre Chrétiens, ça ne sortait pas de la famille) ? Tolérable juste avant la fameuse bombe, la tentative d'extermination des Juifs et des Tziganes sans que qu'en soit troublée l'impassibilité d'un Pie XII ?

      Que s'est-il passé depuis ? Rien de plus, le cortège habituel de guerres, massacres et injustices, ni plus ni moins qu 'avant. Cette super bombe est bien sûr bien effrayante mais un bon petit bombardement « classique » obtient également de beaux résultats. Dresdes, Coventry, Caen, Brest, Lorient, St-Nazaire, Royan entre autres, rayés de la carte s'en souviennent encore.

      Ce qui m'effraie le plus, ce n'est pas Hiroshima, mais Nagazaki. Après cette première bombe sur Hiroshima les Japonais avaient compris, les Soviétiques avaient compris, tout le monde avait compris, mais les Américains ont quand même fait exploser leur deuxième et dernière bombe sur Nagazaki. Tout s'est passé comme s'ils pensaient qu'elles allaient se trouver très vite démodées et qu'il fallait liquider les stocks avant la prochaine guerre.

      À part cette différence d'interprétation, je partage entièrement les prises de position de Théodore Monod. Le fait qu'il fut demeuré chrétien prouve simplement que personne n'est parfait.


      La dame athée 10 décembre 2000