06 mars 2003
Albert Jacquard : Dieu ? un imaginaire
À le voir à sa conférence (le 13-02-2003, à l'Espace Ouest-France), Albert Jacquard évoque les savants de bandes dessinées comme les a croqués Hergé : le large front dégarni, la barbiche et les longs cheveux blancs. Savant et non chercheur car, retraité de la biologie, il tend à élargir le champ de sa réflexion qui sort pas mal de sa spécialité, mais le scientifique n'est jamais très loin.
Il m'est apparu d'emblée comme offrant le pendant aux propositions de Régis Debray sur Dieu, reconnu incroyable, mais incontournable, dont l'argumentaire vaut son pesant d'hosties : « il faut sortir les gens du supermarché, qu'ils s'intéressent à autre chose qu'à leur caddie ». (Je veux bien, si M. Debray fait les courses à ma place). Monsieur Debray proposant Dieu comme bien sociétal et M. Jacquard comme sujet de réflexion personnel, forment les deux faces en version soft de la vieille médaille catholique avec son clergé séculier et régulier, l'un dans le monde, l'autre hors du monde. À « Dieu, un itinéraire », répond : « Dieu, un imaginaire ».
La conférence de M. Jacquard m'a laissée perplexe. Etait aussi candide qu'il le paraissait ? Et surtout, le fait qu'il usa de sa liberté de penser le rendait-il libre-penseur pour autant ?
Il commence par une belle envolée de « saint Augustin » : «Et cependant il est une lumière, une voix, un parfum, une nourriture, une étreinte que j'aime quand j'aime mon Dieu ». Puis tout de suite arrive l'entreprise de démolissage. Quand il déshabille saint-Pierre, ce n'est pas pour habiller Jean-Paul (II). Du credo, il ne retient que l'immortalité et la « communion des saints ». Pour le premier cas, il reconnaît tricher : il est immortel car il n'aura pas conscience de sa fin. Pour le 2èmecas, il triche aussi, mais ne le dit pas, car la « communion des saints » évoquerait la communication entre les humains et la mise en commun de leur savoir.
Il se sent à la fois responsable de la théorie de la relativité et de Dachau, des camps d'extermination, c'est beaucoup pour un seul homme. Je veux bien être solidaire, mais pas à ce point.
L'image de Dieu en prend un coup. Il est à l'intérieur de soi, le prier n'a aucun sens. « Notre père qui êtes aux cieux » n'êtes ni père ni aux cieux. D'ailleurs, pourquoi, s'étonne notre savant toujours parler d'un père éternel ? N'est-ce pas sacraliser tous les pères ? Ciel ! Les religions seraient-elles paternalistes ? Un doute me vient. Pourquoi pas, continue t-il une « mère » Dieu ? Nous avons en magasin une mère de Dieu, ce qui n'est pas si mal. En parlant de « mère de dieu » A. Jacquard devient taquin et va chercher des poux dans les chromosomes à Jésus. Jésus étant un homme, il a possédé une paire de chromosomes X Y, l'X lui vient de sa mère Marie, mais le Y ? Pendant que notre conférencier entame une recherche de paternité, je pense qu'on a raté une occasion unique de connaître le chromosome Y de Dieu soi-même. « Jésus » est venu trop tôt. Nous devons nous contenter de « Raël », s'il veut bien nous confier ses chromosomes. On a les « messies » qu'on peut. Mais oui.
A. Jacquard semble penser que les mathématiques ne sont là que pour titiller les neurones, pour faire parler les bavards aurait dit ma grand-mère. Il nous a offert une curieuse adaptation de la théorie des ensembles : prenez deux ensembles disparates, ils ne formeront jamais un seul ensemble, même si on en retire un par un les éléments de chacun, sauf quand ils sont vidés de leurs composants, alors les deux peuvent se réunir en un seul. Evidemment, 0 + 0 = 0, mais peux t-on encore parler d'ensemble ? Ainsi Dieu serait le résultat de la disparition des idoles. Curieuse déduction. Autre curiosité : une ligne droite serait plus longue qu'une ligne brisée ; mais il faut sans doute pour cela traverser le Dakota comme l'auteur, ce doit être pour cette raison que je n'ai rien compris à la démonstration.
Si j'ai été larguée par le mathématicien, le biologiste m'a semblé plus clair. Ainsi, deux cellules reproductrices qui se rencontrent ne sont que deux cellules, même si le pape pense le contraire. Quand elles se multiplient, elles sont toujours cellules. Quand deviennent-elles un être humain ? Et bien quand la mère commence à sentir l'enfant à l'intérieur d'elle, qu'elle entame un « dialogue ». À cet instant, ce n'est plus le biologiste qui parle, mais le sage. Qu'un ftus ait besoin de la reconnaissance de la mère pour exister est une évidence à laquelle les anti-avortements et d'autres devraient méditer. Encore une pierre dans le jardin de St Pierre ou de son représentant actuel. Désire t-il de sa voix douce renvoyer les membres du comité de bioéthique à leurs chères études en affirmant que des cellules embryonnaires ne sont que des cellules hors l'utérus maternel et surtout sans le projet, la pensée maternelle ?
Perplexe, je demeure perplexe. Qu'a désiré nous démontrer A. Jacquard ? À force de lui oter les attributs, il ne reste plus au titre du livre que présentait son auteur : « Dieu ? » que le point d'interrogation. Alors, pourquoi en parler ? Tout se passe comme si la retraite venue, l'éducation chrétienne de son enfance remontait à la mémoire du scientifique sans pouvoir convaincre ce dernier et qu'il le regrette. « Le concept de dieu n'est pas scientifique » dit-il. Pourtant il cite Sartre « Dieu n'a pas besoin d'exister pour être ». Il ne précise pas : comme tout produit de l'imagination humaine, « Dieu, c'est la lumière intérieure que j'ai en moi ». Mais encore ? Nous voilà bien loin de la rigueur scientifique. « Dieu est un besoin que je constate, c'est tout ». Il est tout étonné que certains ne partagent pas ce « besoin ». Besoin de quoi au juste ? Là encore, pas de précision. Besoin de Dieu ? Dieu serait un besoin de Dieu. C'est le serpent qui se mord la queue. C'est le propre d'une croyance que de se passer de cohérence. Le concile de Nicée est dépassé, mais a t-il jamais été valable ?
Pourquoi, Monsieur Jacquard, rester scotché sur les pensées augustiniennes et le « sermon sur la montagne » ? N'y a t-il pas d'autres textes de par le monde ? N'y a t-il pas des pensées intéressantes dans d'autres civilisations présentes ou passées ? Les pensées de Lao-Tseu, de Confucius, c'est de la daube peut être ?
Einstein aurait dit : « Dieu » ? À force d'en parler, il finira bien par exister ». Il en est ainsi de toutes les légendes, à force d'en parler elles « existent ». Le problème est que cette légende-ci nous a beaucoup nui : N'est-ce pas Monsieur Bush avec votre arbitraire du mal, et votre dollar qui étale sa foi en Dieu ?
Damathée le 24 février 2003
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