La chronique de la dame athée

30 septembre 2001

Logique de guerre

      Information – surinformation – désinformation

      Qu'y a t-il derrière les images de ces tours enflammées que contemplent nos yeux effarés ?

      Il y a d'abord l'acharnement journalistique à nous faire revivre la catastrophe en boucle, jusqu'à plus soif, jusqu'à l'écœurement. Nous sommes tous Américains. La mémoire épidermique de la « foule sentimentale » (Alain Souchon) semble avoir oublié les images de Beyrouth (15 ans de guerre), Sarajevo (4 ans de siège), Bagdad (10 ans de bombardements), Kaboul (20 ans de guerre), images en surimpression qui se surimposent sur mon écran mental. Les morts américains sont-ils plus regrettables que les morts libanais, bosniaques, irakiens, afghans ou rwandais (4 mois de massacre) ?

      Les médias qui n'ont rien vu venir, comme une vulgaire Elisabeth Tessier, nous assomment de commentaires plus ou moins pertinents. « C'est la guerre ! » titrent les journaux américains (U.S.). « C 'est la troisième guerre mondiale » surenchérissent télévisions et radios françaises. « Cette fois, les Américains ne pourront pas se contenter de zéro mort, il y aura des tués U.S. », vont jusqu'à se délecter certains. Lorsque Alain Juppé, nettement plus convivial depuis qu'il n'est plus Premier ministre, tente de tempérer le propos : « allons, ce n'est quand même pas la 3ème guerre mondiale ! », il se fait vertement rabrouer par le spécialiste de service qui lui reproche de vouloir minimiser la situation « comme tous les politiques.»
      Tandis que les médias et leurs spécialistes, eux, s'y entendent pour paniquer leur auditoire ! Franchement, il y a parfois des minutes de silence qui se perdent !

      On entre dans une logique de guerre, c'est dit. Comme dans ce genre de cas, on ressort « Dieu », on l'époussette et on l'arrange un peu pour le rendre présentable – et là franchement, il y a du travail ! Dans le style : « c'est pas moi, c'est l'autre », les prélats des trois religions dites « révélées » sortent leurs plus beaux atours et oecuménisent à tous de bras. « Embrassons-nous Folleville ! » (Feydaud) Quand on connaît les tendances hégémonistes et exclusives de chacune, une telle entente laisse dubitatif. On n'aura jamais assisté à tant d'offices, écouté autant de prêtres. Récession et régression vont de pair.

      « Dieu » fait même son entrée en Bourse par le biais d'une banderole implorant : « God bless América ! Please, pray for U.S. »
      L'irruption de l'irrationnel dans le temple du pragmatisme à de quoi étonner et inquiéter. Que « Wall Street » en soit réduit à faire des incantations, style : « danse de la pluie » des premiers Américains, juste avant sa réouverture n'est pas des plus rassurant. C'est que la Bourse déteste l'incertitude, affirme un spécialiste, elle préfère encore une bonne guerre. La guerre, c'est des ventes d'armes, des reconstructions, l'ouverture de nouveaux marchés. Bref, une relance de l'économie. Un vieil adage circule d'ailleurs chez les courtiers : « il faut acheter au canon et vendre au clairon. » Donc, Bush doit faire la guerre au moins pour « Wall Street. »

      Et bien, on ne peut pas dire que je me sente solidaire de cette Amérique là, bigote, égoïste, âpre au gain et revancharde, qu'on nous montre en exemple. Une Amérique qui a elle-même sécrété les monstres qui l'ont attaquée. Je le serais plutôt de cette autre entre-aperçue à la télé qui était descendue dans les rues, brandissant des colombes de papier. Une Amérique jeune et déterminée qui revendiquait la paix en affirmant qu'il ne servait à rien de rendre coup par coup. De dangereux trublions on le voit, dont l'un fut littéralement enlevé par deux solides « cops » comme au bon vieux temps de la guerre du Viêt-Nam.

      Régulièrement, on nous refait le coup de La Fayette à l'envers. « Il faut aider l'Amérique qui est venue au secours de la Résistance et nous a sauvé des nazis en 1944. » Ceux qui rechignent sont traités d'ingrats. Alors je me pose une question :
      Si cette Amérique si généreuse et désintéressée est venue à notre secours contre la dictature nazie, pourquoi n'a t-elle jamais cherché à aider la résistance du commandant Massoud contre la dictature des Talibans ? Pourquoi ces grands amoureux de la liberté ont-ils soutenus des régimes aussi pourris, totalitaires, intolérants et belliqueux que le Pakistan et l'Arabie Saoudite ?

      Ne me dites pas que c'est pour une histoire de pipeline quand même ? Et pourtant on me le dit.

      Parce que s'il y a un culte qui n'est pas prêt de s'éteindre et qui met les gens les plus improbables en accord, c'est bien celui du billet vert.

      La dame athée 30 septembre 2001