La chronique de la dame athée

16 juin 2001

Laïcité « ouverte »


      Depuis quelque temps, il est question dans certains milieux de laïcité « ouverte ». Etonnant, la laïcité serait comme une porte ouverte ou fermée ! Il me semblait que le vocable seul contenait sa définition et qu'il n'était pas besoin d'y ajouter un adjectif. Cette précision insinue qu'il aurait plusieurs possibilités, une laïcité au choix en quelque sorte. Elle introduit le doute.

      Se prétendre laïque « ouvert », c'est sympa, moderne, « tolérant ». C'est laisser entendre qu'il existerait en opposition une laïcité « fermée » ringarde, intolérante, pas sympa du tout. Des laïques sectaires bétonnés dans leurs principes, cramponnés à leur définition. Des laïques sectaires comme on a pu le lire dans Témoignage Chrétien. Un comble, ce rapprochement entre laïcité et secte.

      Des personnes ont pétitionné pour que les valeurs chrétiennes soient reconnues en Europe. J'aimerais bien savoir en quoi consistent ces fameuses « valeurs ». Ont-elles un quelconque rapport avec la chape de plomb qui s'est appesantit sur cette même Europe entre le 11ème et le 18ème siècle ? Elles ont déjà pour base nombre d'invraisemblances, et nous font prendre des vessies pour des lanternes et des légendes pour des réalités. Pas très solide pour avancer dans ce XXI ème siècle dont on nous rebat les oreilles.

      La position des protestants est intéressante. À l'ouverture de leur synode à Soissons, ils précisent leur position qui est : à la fois de défendre une laïcité qui protège la société de toute tutelle religieuse, du fanatisme et des dérives sectaires. Et en même temps, maintenir ouverte, au sein de la culture, la question de Dieu et la dimension spirituelle de l'homme. (Ouest-France du 25 mai 2001).

      Traduction : on élimine déjà la concurrence sauvage pour se garder le marché, nous les grandes multinationales du culte. Religions installées, révélées, dites du « livre » : chrétienne, islamique, judaïque. Nous réglerons nos comptes plus tard. On peut noter qu'éviter toute tutelle religieuse prend tout son sens de la part d'un protestant face au pouvoir catholique.

      Plus sérieusement, la proposition de maintenir ouverte la question de Dieu et la dimension spirituelle de l'homme me laisse perplexe. Je ne pense pas que le déisme rende les hommes très spirituels. Il les rendrait plutôt obtus et intolérants. Maintenir ouverte la question de Dieu, c'est en réalité se fermer à tous ceux qui ont une autre vision du monde. C'est vouloir imposer un choix philosophique, infondé et arbitraire à l'ensemble de la société.

      Dans une laïcité pleine et entière tous se sentent à l'aise, croyants ou incroyants ; personne n'impose sa vision du monde à l'autre, le seul critère est la réalité objective. On aurait pu penser que c'était évident, mais non, certains font encore semblant de ne pas comprendre !

      Un exemple pour nous faire mesurer l'ampleur de la tâche. L'ex chancelier Kohl aurait un jour protesté à l'idée que la Turquie entrât dans le marché commun. À cause de son régime autoritaire et peu démocratique ? Pas du tout. Parce que la Turquie est musulmane et que cela ferait désordre au sein d'une Europe chrétienne. Notre nouveau croisé Kohl a simplement oublié que la Turquie est une république laïque. Quoique pour un défenseur de la chrétienté, la laïcité non plus n'est pas très catholique. La laïcité n'est pas catholique ni autre chose d'ailleurs. Qu'elle se tienne en dehors de toutes croyances, toute irrationalité, est intolérable à certains. C'est bien dommage.

      La Norvège étant très ouverte sur les religions, les musulmans y ont eu droit à leur appel à la prière, sur la rue, avec haut-parleur et ce, plusieurs fois par jour. S'avisant de ce fait, un groupe athée, il y en a aussi en Norvège, réclama et obtint le même droit. En réponse à l'autorisation récemment accordée aux musulmans de lancer des appels à la prière depuis les toits d'Oslo, la Société Païenne de Norvège (fondée en 1974, dans un pays où le luthérisme est religion d'état, la Société Païenne se présente comme un "mouvement de libération antireligions, ayant l'humour comme seules armes" : "riez de dieu", ou "enrichis-toi, crée ta propre religion" sont ses slogans) installera des hauts-parleurs sur un immeuble situé à proximité de deux églises et d'une mosquée pour diffuser des appels à la laïcité et des extraits de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. "Nous réclamons l'abolition du droit, insolite, de faire du bruit parce que l'on croit en dieu", revendique Per Kristian Hansen, membre du comité de direction de la société, qui considère ces appels comme des "nuisances sonores". La Société Païenne de Norvège peut donc avec les mêmes moyens clamer que Dieu n'est pas grand, vu qu'il n'existe pas et que tout ça n'est que balivernes. Au nom de la pluralité des opinions et du principe que tout poison nécessite son antidote.

      Si c'est ce genre de situation que l'on désire pour la France, il faut le dire. Déjà, en France, la laïcité existe plus dans les intentions que dans les faits, avec le statut d'Alsace-Moselle et le subventions aux écoles confessionnelles, ainsi que les avantages fiscaux en faveur des grandes religions.

      Avec cette laïcité à la française, les athéistes n'ont plus qu'à se faire reconnaître comme religion !


      La dame athée 16 juin 2001