La chronique de la dame athée

5 mai 2002

Amen

A la suite de la diffusion en salle du film de Costa Gavras : « Amen », les réactions « bien pensantes » n'ont pas tardé. Le journal démocrate chrétien régionaliste Ouest-France s'en fait l'écho. Après deux articles plutôt objectifs le mercredi 27 février pour présenter le film et effectuer un petit rappel historique : « Costa Gavras contre l'indifférence » et « Pie XII et les juifs, la controverse relancée », le journal se laisse aller à ses mauvais penchants par le biais de « deux points de vue » : « Amen et le devoir de respect » et « l'Eglise catholique dans la tourmente », bases sinon de discussion du moins de réflexion pour l'athéiste.

Il est révélateur que la première réaction s'attaque à la forme et non au fond. M. Guy Coq, essayiste, n'aime pas l'affiche ce qui est son droit le plus strict ; qu'il le fasse avec cette violence, cette outrance de langage, est des plus inquiétant et prouve que le fanatisme derrière la religion n'est jamais très loin.

Il est question de « crapulerie spirituelle », « agression sordide contre la figure même du Christ », « attentat » commis contre le symbole de sa religion, « l'intolérable », « voler au croyant le symbole de son idéal, de son âme » rien que cela. « Le cri du croyant blessé est étouffé ». Oh oui ! A pleine page dans Ouest-France, journal tout à fait confidentiel où ne paraît pas souvent le cri du non-croyant scandalisé ! Et relayé par toute la presse catholique, et la radio catholique, et le web catholique, et la télé sur câble catholique. Les cathos manquent cruellement de moyens d'expression, on le voit.

L'objet de l'ire du monsieur est bien sûr le détournement de la croix chrétienne en croix gammée. Or il se trouve que l'affichiste du film n'est pas le premier à avoir utilisé ce raccourci caricatural. « Charlie Hebdo » nous apprend que « John Heardfield, dès 1934, avait associé la croix gammée à celle du christ pour dénoncer la nazification de l'Eglise évangéliste allemande ». Faut-il lui faire un procès, à lui ou ses héritiers ? Et puis, que devraient dire les Indous qui ont vu un de leurs symboles détournés au profit des nazis, puis maintenant associé à une croix chrétienne ? N'y a t-il pas là aussi une insulte à leur croyance ?
Mais, n'est-ce pas une insulte faite à une religion dite « d'amour et d'espérance » que de la représenter sous la forme d'un pauvre type supplicié sur une croix ? N'est-ce pas le comble du sadisme et de la cruauté ? Parce que des gens sont réellement morts de cette façon. Et n'est-ce pas une offense à la mémoire de Spartacus et des esclaves révoltés que de représenter ainsi leur supplice au bout d'une pique ?

Non monsieur Coq, les chrétiens ne sont pas visés dans ce détournement de symbole. Il n'est que le résumé de la collusion des grands pontes religieux avec le pouvoir nazi. Et c'est cette attitude qui est une insulte pour les chrétiens sincères.


L'autre point de vue, de Jean Chelini, traite du fond du film en termes heureusement plus modérés. Et à ce propos, il me revient une anecdote vécue il y a deux ans.

Visitant avec un groupe une exposition au musée, nous sommes tombés sur un « tableau » où l'artiste, voulant évoquer le génocide juif, avait représenté une carte d'Europe sur laquelle étaient collés des timbales ou sébiles métalliques à l'emplacement des camps de concentration. Allusion, nous dit notre guide, au silence de Pie XII durant cette période tragique. Un auditeur s'insurgea : 
- d'accord, mais le pape en a fait la repentance !
Je ne pus m'empêcher de préciser :
- Ce n'était pas le même !
- Il s'est quand même excusé !
- Ce n'était pas le même ! m'obstinai-je.
- Il a fait repentance ! s'énerva mon interlocuteur, et les communistes n'en ont pas fait autant !
Cet argument me laissa sans voix ; que venaient faire les communistes dans cette histoire ? Surtout si on songe que la repentance s'effectue vis à vis de dieu.

Mais ce bon paroissien avait-il tort ? Ne peux t-on pas dire que les papes sont interchangeables et que Carol aurait agit de la même façon que monsieur Pacelli dans les mêmes circonstances ? Dans ce cas, il est normal qu'il s'en « repente ». Quant aux communistes, c'est quand même bien à cause d'eux si les nazis sont arrivés et se sont maintenus au pouvoir.
Il est quand même un peu facile de ne s'en prendre qu'au seul Pie XII. D'accord, il aurait été pro-germanique et anti-sémite. Il était loin d'être le seul. On peut se demander pourquoi, en 1939, c'est précisément ce prélat pro-germanique qui a été choisi pour pape, coïncidence curieuse.
On peut également évoquer les silences, déjà, de son prédécesseur Pie XI, sur ce qui se passait en Allemagne et en Europe Centrale. Quant à Paul VI qui fut son secrétaire, il n'a jamais songé à faire « repentance ». Pendant que l'on se polarise sur le seul Pie XII, on oublie de voir que c'est toute l'institution qui est en cause.

Dans ce point de vue, Monsieur Chelini, précise que « tout le monde » connaissait les persécutions puis la tentative d'anéantissement de juifs et des Tziganes, « tout le monde » signifiant les responsables politiques. Cela n'excuse pas le pape pour autant, mais rend la vision de cette époque encore plus effrayante.
Ainsi, par peur du communisme, les politiques ont laissé se développer une vaste entreprise criminelle en parfaite conscience.
Le dictateur allemand avait bien quelques lubies inquiétantes, mais il avait relancé l'économie du pays et se plaçait franchement dans le camp capitaliste. On avait eu chaud après la tentative de prise de pouvoir par les spartakistes pro-communistes. Dans cette optique, il est vraisemblable que l'annonce de l'accord avec Staline sur le nouveau partage de la Pologne fut un choc pour les « alliés » et les obligea à réagir. Seulement, sans jamais dénoncer les agissements de nazis, même au plus fort de la guerre ! C'est incompréhensible.

Enfin, le pape était en bonne compagnie, il n'a pas été pire que les autres chefs politiques . Seulement quand on prétend exercer un pouvoir moral, cela fait désordre.

En quoi les communistes font-ils donc si peur aux pontes chrétiens ? Parce qu'ils sont athées, ou anti-capitalistes ? Les deux sans doute. Staline disait : « le pape, combien de divisions ? » ; ce serait plutôt : « le pape, combien de dividendes ? »

Damathée le 5 mai 2002