Politique



La question qui gène certains candidats ?


Le colloque de Strasbourg du 8 décembre 2001 a adopté une lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle leur demandant s'ils étaient pour l'abrogation du statut clérical d'exception d'Alsace Moselle. Celle-ci a été publiée dans La Raison de janvier avec le compte rendu du colloque et envoyée à un grand nombre de partis présentant des candidats.

Le 20 février 2002, la Libre Pensée a envoyé cette lettre ouverte aux candidats suivants : M. Allenbach (Parti fédéraliste), François Bayrou (UDF), Olivier Besancenot (LCR), Christine Boutin (DVD), Jean-Luc Cheminade, Jean-Pierre Chevènement (MDC), Jacques Chirac (RPR), Blaise Hersent-Lechatreux (Parti blanc), Robert Hue (PCF), Lionel Jospin (PS), Brice Lalonde (GE), Corinne Lepage (Ecologie), Noël Mamere (Les Verts), Alain Madelin (DL), Charles Pasqua (RPF), Christine Taubira (PRG), Daniel Gluckstein (Parti des Travailleurs), Antoine Waechter (Mouvement Ecologiste Indépendant), Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière), Christian Blanc, Jean Saint-Josse (CPNT), Bahia Idjaoudiène (Couleur citoyenne).

Malgré une demande par courrier électronique, nous n'avons jamais eu l'adresse de Dieudonné. Au moment de l'envoi, hormis les deux candidats du FN et du MNR, c'était les seuls candidats déclarés à ce moment.

Le 5 mars, nous avons envoyé un courrier électronique à tous les candidats pour leur demander une réponse pour le 11 mars afin de pouvoir publier leurs réponses dans ce numéro de La Raison. Le site de Lionel Jospin nous accusait réception en nous promettant une réponse d'ici cinq jours. Celui de Jacques Chirac nous demandait un délai jusqu'au 15 mars pour nous donner une réponse, ce que nous acceptions. Au jour de la rédaction de cet article (18 mars), nous n'avons reçu aucune réponse de ces deux candidats.

Par contre, nous avons reçu les réponses d'Arlette Laguiller (LO), de Daniel Gluckstein (PT) et de Jean Saint-Josse. En voici les principaux extraits :

Arlette Laguiller (LO): " Etant communiste, je suis athée et je considère que la religion est une affaire privée. Et je trouver particulièrement choquant que l'Etat entretienne financièrement les différentes églises sur l'argent de la collectivité, qu'il s'agisse des salaires des ministres du culte en Alsace-Lorraine ou, plus généralement, de subventions accordées aux écoles confessionnelles. Que des cours de religion soient inclus dans les programmes scolaires, au nom du passé de ces provinces, n'est qu'une concession faite par les dirigeants à l'obscurantisme religieux, tout comme le fait que le ministre de l'Intérieur soit aussi celui des cultes et que le président de la République ou des ministres participent, "au nom de la nation", à des offices religieux.

Ceci dit, le principe de laïcité dont se défend la "tradition républicaine" couvre aussi bien des injustices, sociales celles-là, notamment dans le domaine de l'Education nationale. Les enfants des classes populaires, censés recevoir le même enseignement que ceux des classes privilégiées, n'ont pas les mêmes chances de réussite, car ils n'ont pas le même accès à la culture, faute de moyens, et l'Etat "républicain" ne fait rien pour réduire cette inégalité.

Alors, si je suis opposé au statut d'exception d'Alsace-Lorraine et soutiens votre combat, ce n'est pas tant au nom d'une laïcité illusoire que parce que je milite contre l'obscurantisme et pense que l'argent public doit aller aux services publics".

Jean Saint-Josse (CPNT) : " Il serait aisé, comme chacun le fera, de répondre aux questions, en ayant un avis sur tout et éventuellement "vous caressez dans le sens du poil". Ce n'est ni mon style, ni mon intention. En effet, je n'ai pas la prétention de devenir Président de la République, mon seul objectif étant de délivrer un message en faveur d'un aménagement du territoire équilibré où chacun sera à égalité de chance.

J'espère que les deux candidats présents au second tout pourront d'autant plus prendre en compte ce message que mon score sera important. En conséquence, je vous transmets les raisons de mon engagement en souhaitant que vous trouverez réponse à vos questions". Dans le programme de M Saint-Josse, il n'y a rien qui concerne de près ou de loin la laïcité (NDLR).

Daniel Gluckstein (PT) : " Je répondrais donc clairement : je suis pour l'abrogation de ce statut clérical qui est en contradiction flagrantes avec tous les principes véritables de la République, de démocratie et de laïcité. Je constate qu'il a été longtemps considéré comme une tache sur la République laïque, mais qu'aujourd'hui en effet, comme vous le soulignez, il devient un modèle pour les régions, au nom de l'harmonisation européenne.

L'Europe de Maastricht est antidémocratique et fondée sur des principes qui empruntent largement à la doctrine sociale de l'Eglise, en particulier le principe de subsidiarité. Elle est par ailleurs fondée en dehors de toute prise en compte de l'exigence démocratique de la Laïcité de l'Ecole et de l'Etat. Pour le Parti des Travailleurs, la religion doit être strictement une affaire privée. Elle ne doit en aucun lieu faire œuvre de présence, donc de prosélytisme, dans le domaine des services publics.

Fidèle en cela à toutes les traditions du mouvement ouvrier en France, le Parti des Travailleurs considère que les Eglises ne peuvent être financées par les fonds publics, c'est pourquoi je me prononce clairement et résolument pour l'abrogation de toutes les lois antilaïques de droite comme de gauche. Il est intolérable que l'argent de tous finance l'Ecole de quelques-uns uns et subventionne des cultes qui doivent rester dans la sphère privée
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De même, je me prononce pour le rétablissement de toutes les dispositions de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat du 9 décembre 1905, qui ont été abrogées par le Régime de Vichy et jamais rétablies depuis par aucun gouvernement. Vous comprendrez donc que pour moi, la République est laïque ou elle n'est pas. C'est pourquoi, je suis fermement opposé au maintien du statut clérical d'exception d'Alsace Moselle".

La Libre Pensée regrette que les autres candidats n'aient pas cru devoir réponse à notre lettre ouverte, à croire que la question de l'abrogation du statut clérical d'Alsace Moselle gène beaucoup de prétendants à l'Elysée.

Bien entendu, nous nous interdisons tout commentaire public des réponses qui nous sont arrivées. Les libres penseurs et les lecteurs de notre journal se feront d'eux-mêmes une opinion en la matière.


Lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle
Mademoiselle,
Madame,
Monsieur le candidat,

Vous êtes ou allez peut-être être candidat(e)s aux prochaines élections présidentielles de 2002. C'est pourquoi, nous nous permettons, conformément à la tradition républicaine, de nous adresser à vous qui sollicitez le suffrage des électeurs sur une question qui nous semble très importante.
Nous sommes 400 libres penseurs, laïques, démocrates, syndicalistes, militants, républicains réunis en colloque national à Strasbourg le 8 décembre 2001 pour l'abrogation du statut clérical d'exception d'Alsace Moselle avec la Fédération Nationale de la Libre Pensée, le Comité-Laïcité-République, la FNECFP-FO, la revue Réflexions avec des laïques venus de différents pays.
Partisans de l'absolue liberté de conscience, garantie par la loi de séparation des Eglises et de l'Etat du 9 décembre 1905, nous considérons que le statut clérical d'exception et le régime d'exception scolaire d'Alsace Moselle sont des violations de la laïcité républicaine.

Le statut clérical est antidémocratique.

Celui-ci est constitué principalement de trois sources juridiques : le concordat de 1801 et ses articles organiques de 1802, de  la loi Falloux du 15 mars 1850 et des lois allemandes du temps de l'annexion (1870-1918).
Rappelons que le concordat a été abrogé par une écrasante majorité parlementaire, appuyée par l'immensité de l'opinion publique en 1905, que la loi Falloux (mère de toutes les lois antilaïques) a été repoussée par la quasi-unanimité des députés de cette région lors de sa promulgation en 1850, que l'Allemagne à l'époque de l'annexion était un Empire et la France une République.
Le statut clérical d'exception d'Alsace Moselle n'a donc aucune légitimité démocratique.

Ce statut d'exception est antilaïque.

Il est fondé sur le communautarisme religieux, imposant par exemple qu'au sein de l'Ecole publique les élèves soient différenciés selon des critères confessionnels ou encore  qu'il y ait des cimetières différents selon la religion des défunts. La construction et l'entretien des cimetières religieux sont à la charge des communes, sauf pour le culte israélite. L'entretien, la réfection et le maintien des bâtiments religieux sont à la charge des communes et de l'Etat. Les maires ne peuvent participer au conseil de fabrique que s'ils sont de la religion concernée par celui-ci.
Les prêtres, évêques, vicaires, pasteurs et rabbins sont rétribués par l'Etat comme des agents publics du culte. L'Archevêque de Strasbourg perçoit un traitement à l'indice 925 de la grille de la Fonction publique (30.000 F par mois !).
Conformément à l'article 23 de loi Falloux, ce statut d'exception impose que les cours de religion dans l'Ecole publique ne soient dispensés que par des enseignants partageant la confession qu'ils enseignent, en contradiction avec les principes de recrutement de la Fonction publique ouverte à tous au seul regard de leurs mérites.. Et pour les élèves confiés à l'Ecole publique, la règle est l'enseignement de la religion, l'exception est la dispense demandée par les parents.
Alors que la fréquentation des cours de religion ne cesse de diminuer pour atteindre moins de 10% dans le secondaire, que le nombre de prêtres s'effondre ( 1811 en 1988 et 1064 en 2001), la dotation horaire globale (DHG) pour les cours de religion est la seule matière en France à ne jamais subir de fluctuation à la baisse, alors que les différents gouvernements ont supprimé des milliers d'heures de cours et  de postes pour toutes les autres disciplines d'enseignement.
La seule matière scolaire dans ce pays qui ne souffre pas de l'austérité et des critères de convergences des traités européens, c'est l'enseignement des religions en Alsace Moselle !
Le Ministre Claude Allégre a même crée cette monstruosité juridique que sont les CAPES (concours national ouvrant droit à mutation sur l'ensemble du territoire) de religion qui préfigurent l'enseignement des religions dans l'ensemble des écoles publiques du pays. Présentés comme "exceptionnels", ces concours sont désormais pérennisés par Jack Lang.
La France est aujourd'hui le seul pays au monde à encore désigner des Evêques  à Metz et un Archevêque depuis 1996 à Strasbourg !

Ce statut pille les fonds publics.

Alors que l'on nous explique que les retraites sont un problème et qu'il faudra que les salariés  cotisent toujours d'avantage et toujours plus longtemps, les personnels cultuels pourront toucher, sous certaines conditions,  la totalité de leur pension s'ils ont exercé pendant au moins dix ans.
Les salaires des religieux, payés sur les fonds publics, représentaient 192 738 778 F en 1992, ils sont de 209 471 762 F en 2001; les cotisations sociales (payées par l'Etat pour eux) se montaient à  569 289 F en 1992, elles sont de  19 988 273 F en 2001; les frais d'entretien et d'administration des cultes représentaient 162 106 F en 1992, ils sont de 5 995 384 F en 2001. (Source : Avis parlementaire sur la loi de finances 2002 de M. René Dosière, député socialiste). Le moins que l'on puisse dire est que le financement public des religions ne souffre pas de "modération salariale et budgétaire".
C'est un véritable pillage des fonds publics pour maintenir contre vents et marées le cléricalisme institutionnel dans notre pays !
Au nom de l'Europe des régions, cette exception tend à devenir la règle
Il fut un temps où tous les républicains laïques et les démocrates considéraient que le statut clérical d'exception d'Alsace Moselle était une exception et que la République une, indivisible et laïque était la règle. Aujourd'hui, force est de constater que les gouvernements successifs se servent de ce contre-modèle comme étant un exemple à suivre.
Les accords Matignon sur la Corse sont directement inspirés de celui-ci pour l'enseignement du "corse".  Après les accords Lang/Diwan sur "le breton par immersion" (pourtant refusé par le Conseil d'Etat), certains réclament à leur tour "le catholicisme par immersion". En 1996, le nonce apostolique romain à Paris (le représentant diplomatique du Vatican) ne réclamait-il pas  "l'extension du statut d'Alsace Moselle à l'ensemble des régions françaises à forte densité spirituelle".
Le député socialiste René Dosière, dans son avis parlementaire explique à son tour : " Le régime concordataire est vécu non pas comme une survivance archaïque, mais au contraire comme une façon différente de penser la laïcité au sein de la République".
Depuis 1990, ce sont près de trente nouveaux concordats qui ont été signés entre le Vatican et différents Etats, notamment en Europe. Pourquoi, cette frénésie ? Parce que le Traité d'Amsterdam de 1997 a adopté une déclaration qui sera intégrée dans l'Acte Unique après ratification définitive des Etats membres.
Celle-ci stipule : " L'Union respectera et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Eglises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres". En clair, dès la ratification définitive du Traité, notamment par les Etats de l'Est de l'Europe qui demandent à être membres, les relations nationales Eglises/Etats seront intégrées telles quelles dans le droit communautaire. Et plus personne n'aura le droit de les remettre en cause, car le droit communautaire est supérieur au droit national. Voilà à quoi notamment sert l'Union européenne : à protéger les concordats !

Vous êtes candidat(e)s, vous devez vous prononcer !

Nous vous demandons  donc de vous prononcer clairement et sans équivoque pour connaître votre sentiment sur l'abrogation ou le maintien du statut d'exception clérical d'Alsace Moselle. Bien entendu, conformément à la tradition républicaine, nous rendrons publique votre réponse.

Recevez l'expression de notre profond attachement à la laïcité de l'Ecole et de l'Etat.

Adopté à l'unanimité par le Colloque de Strasbourg du 8 décembre 2001