Politique

27 janvier 2002

Du citoyen au sujet


       L’abstention est le pire des maux dont une démocratie puisse souffrir. Que dire de ces citoyens se satisfaisant de “ la possibilité de voter ”, de “ disposer ”, sans l’exercer, d’un droit fruit d’une longue conquête qui a vu la balle se transformer en bulletin ?

       L’exercice de ce droit est d’une cruciale nécessité, ceci afin d’éviter le glissement définitif dans un système de démocratie confisquée. La souveraineté qui a glissé du roi vers la nation - où plutôt qui est revenue vers la nation - avec la Révolution est en passe d’être vidée de son sens. Est-il souhaitable qu’un représentant du peuple - dont la fonction est notamment de veiller au respect de la Constitution et d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics - soit désigné par seulement 39% des citoyens inscrits sur les listes électorales, comme ce fut le cas pour J. Chirac en 1995 ?

L’abstentionniste qui ne souhaite pas s’en laisser conter évoque la “ République-farce ”, la démocratie de façade. C’est ce qui sous-tend l’idée de “ refondation sociale ” chère aux doctrinaires libéraux (du Medef à Tony Blair) : il faut “ démocratiser la démocratie ”, c’est à dire lutter contre un Etat monstre égalitaire et liberticide. Cette alliance des penseurs libéraux et libertariens dont le but n’est plus d’assurer l’égalité des droits, mais de défendre la liberté et la propriété contribue à détruire “ l ’esprit de citoyen ”.

La défense des droits ne passe plus ainsi par la Loi, expression de la souveraineté populaire, mais par la mise en avant d’intérêts particuliers tirant leur légitimité et leur force dans de puissants lobbies. Le repli communautaire atomise la nation et détruit par là la souveraineté populaire qui fonde l’Etat. La désignation de représentants à qui l’on transmet un part de souveraineté se retrouve ainsi délégitimée.

Le poids excessif des instituts de sondage et de leurs bataillons d’experts qui lisent l’avenir favorise également ce renoncement citoyen. A quoi bon voter, puisque les résultats sont connus d’avance ? Ces faiseurs d’opinion, prestataires de services pour les politiques, ont tendance à accaparer le terrain politique et exercent ainsi une pression qui parasite le rapport entre le citoyen et son représentant. C’est bien la liberté de conscience qui est menacée. La décision d’autoriser les sondages - parfois scientifiquement douteux - jusqu’au jour qui précède chaque tour de scrutin sous le prétexte de liberté d’information ne fait que restreindre la clairvoyance citoyenne.

L’abstention (multipliée par deux aux présidentielles depuis 1974) est d’ autant plus grave qu’elle touche en priorité l’électorat populaire qui ne trouve pas d’écho dans une gauche qui a apostasié ses idéaux. Le risque est donc grand de voir le peuple se réfugier dans une abstention confortable, végéter dans un ensommeillement politique, contribuant ainsi à rompre le lien entre le citoyen et l’Etat. Avec cette rupture, nous vivons une Histoire à rebours : le citoyen redevient sujet.

Les multiples atteintes à la laïcité dans l’école, qui se concrétisent aujourd’hui dans une libéralisation à marche forcée du système éducatif menée de main de maître par Bruxelles, favorisent l’annihilation de cet “ esprit citoyen ” qui devrait - au contraire - être développé dans ces lieux d’instruction.

Il est temps de réaffirmer que la République est la chose de tous qui s’est constituée grâce au suffrage universel. Le refus de l’abstention, la défense de l’égalité et de la solidarité au sein d’une véritable gauche républicaine face à une “ liberté ” fondée sur des droits tribaux : c’est cela la véritable modernité. Il s’agit de le rappeler à nos futurs représentants au printemps prochain. Etre républicain aujourd’hui, c’est être révolutionnaire.

Le Bureau National du Comité Laïcité-République - le 27 janvier 2002 - DS

http://www.laicite-republique.org/